Prix de la recherche
Depuis 1981, la Fondation Suisse de Cardiologie attribue annuellement son Prix de la recherche à un ou plusieurs éminents travaux de recherche scientifique dans le domaine de la prévention, du diagnostic et du traitement des maladies cardio-vasculaires. Ce prix est doté d’un montant de CHF 20'000.
Prix de la recherce 2024: Ce qui endommage nos artères
Des vaisseaux sanguins en bon état sont la clé pour vieillir en bonne santé. Il est donc important de comprendre comment se forme l’athérosclérose. Yvonne Döring étudie les mécanismes pathologiques qui en sont à l’origine. Des inflammations mal orientées jouent un rôle essentiel.
Nous sommes à l’intérieur d’une artère. Des milliards de globules sanguins, d’autres cellules et de substances y circulent. On parle de 150 000 kilomètres de vaisseaux sanguins qui véhiculent chaque jour plus de 8000 litres de sang dans le corps humain. «Les vaisseaux sanguins sont comme une entreprise de logistique», explique la professeure Yvonne Döring, «ils organisent l’alimentation en oxygène et nutriments de tous nos organes.» C’est ce qui les rend si importants: en cas d’obstacle dans la tuyauterie, il y a pénurie. Les organes ne reçoivent pas assez de sang, avec comme pires conséquences à la clé l’infarctus du myocarde, l’AVC (accident vasculaire cérébral, attaque cérébrale) et la démence vasculaire. Avec l’âge, le risque augmente, on finit par trouver des lésions des vaisseaux sanguins chez chacun-e d’entre nous, mais pas autant chez tout le monde. À l’origine, un processus pathologique qui s’étend sur des dizaines d’années et qui est influencé par le mode de vie et les prédispositions génétiques.
En passant par l’immunologie
Cette maladie s’appelle athérosclérose. On parlait autrefois d’artères calcifiées sans prendre le phénomène très au sérieux. Aujourd’hui, on considère la maladie autrement: des vaisseaux sanguins en bon état sont la clé pour vieillir en bonne santé. Spécialiste en sciences biomédicales, Yvonne Döring veut donc découvrir comment ces processus pathologiques se mettent en route et comment les empêcher. Elle travaille avec ses équipes dans des laboratoires de l’Université de Berne, son domaine de prédilection est l’immunologie des vaisseaux sanguins. Au tout début de ses études, elle ne savait pas non plus ce que c’était: «Cela m’énervait de comprendre aussi mal, je voulais décortiquer le sujet», raconte-t-elle. Elle finit par constater que ce travail la fascinait. Finalement, l’immunologie la mena aux artères humaines et à l’athérosclérose. En effet, là aussi, le système immunitaire joue un rôle important.
Des inflammations mal orientées
L’athérosclérose est une pathologie de la paroi interne des vaisseaux sanguins, c’est-à-dire là où passe le sang. Elle se forme en raison d’un taux de cholestérol LDL sanguin durablement trop élevé, lié à des réactions inflammatoires. Le cholestérol LDL, un lipide sanguin, se dépose dans la paroi interne des vaisseaux sanguins et s’accumule sous forme de dépôts graisseux. Tandis qu’on a étudié intensivement la hausse des lipides sanguins et qu’on les soigne bien par des médicaments, on manque encore de connaissances sur les réactions inflammatoires. Or, comme l’ont montré des études récentes, les deux processus ont autant d’importance l’un que l’autre. C’est pourquoi il est important de comprendre comment le système immunitaire de l’organisme réagit aux inflammations et avec quels effets.
De vains travaux de nettoyage
Une inflammation est une réaction protectrice de l’organisme, rien de mal en soi. Mais si elle est incontrôlée ou devient chronique, il y a danger: «Dans le cas de l’athérosclérose, il s’agit justement d’une inflammation mal orientée chronique», explique Yvonne Döring. Dès que des graisses sanguines s’accumulent sur la paroi interne des artères, l’organisme essaye de lutter: il reçoit l’ordre de faire des travaux de nettoyage et envoie pour cela diverses cellules et substances. Mais ces travaux de nettoyage sont vains. Bien au contraire, de plus en plus de cellules immunitaires et d’autres cellules pénètrent dans la paroi interne de l’artère et y meurent. De plus en plus de graisses s’y accumulent, jusqu’à ce que le dépôt graisseux soit si gonflé qu’il finit par éclater, d’où la formation d’un dangereux caillot.
Le rôle des chefs d’orchestre
C’est donc la réaction de notre organisme qui favorise l’obstruction de nos artères. Yvonne Döring s’intéresse aux interactions de différentes cellules, à la manière dont elles communiquent entre elles par le biais de récepteurs et de substances messagères. Les substances messagères qui lancent et pilotent la réaction immunitaire sont particulièrement intéressantes. En font partie les chimiokines et les récepteurs de chimiokines. Les chimiokines et leurs récepteurs sont des protéines qui commandent la migration et l’action des cellules immunitaires. Il s’agit en quelque sorte de chefs d’orchestre qui, dans le cas de l’athérosclérose, veulent bien faire mais aboutissent au mauvais résultat. Depuis 15 ans, Yvonne Döring étudie intensivement avec ses équipes les chimiokines et leurs récepteurs. La Fondation Suisse de Cardiologie lui décerne pour ces travaux son Prix de la recherche 2024.
Un médicament spécifique
Le résultat de son travail ouvre la voie à de nouveaux traitements. En effet, si on parvenait à inhiber localement et spécifiquement les chimiokines et leurs récepteurs, donc les chefs d’orchestre, on pourrait stopper les processus inflammatoires. C’est une approche de développement possible d’un médicament. «Mais ce n’est pas simple», avertit la chercheuse, «car les substances messagères font leur travail correctement dans d’autres parties du corps.» Pour ne pas faire de mal, il faut que l’effet du médicament soit spécifique: «Il nous faut un bloquant qui agisse directement dans le vaisseau sanguin où se produit l’inflammation mais nulle part ailleurs.» Les travaux d’Yvonne Döring sont la base qui permet de comprendre des processus, mais le chemin est encore long pour développer un médicament à partir de ces connaissances. «Ce n’est ni pour aujourd’hui, ni pour demain», dit-elle, «mais j’espère que nous pourrons un jour freiner les inflammations de manière ciblée dans les artères.»